LE CYGNE. (Le blanc est-il soluble dans l'infini).
La petite fille se prénommait Alika. Elle se tenait près de sa jeune gouvernante, main dans la main. Cette dernière, une très jeune femme, regardait le soleil qui se couchait sur le Danube. Soudain, la préceptrice s’écria : « Ô, des cygnes, ils sont magnifiques ! ». Et la fillette qui était aveugle, demanda ce qu'étaient des cygnes. Sa gouvernante lui dit qu’il s’agissait d’oiseaux qui nageaient sur l’eau. L’enfant voulut alors savoir leur couleur.
— Ils sont tout blancs, lui répondit celle qui la promenait.
— Et qu’est-ce que cela veut dire « blanc » ? demanda Alika.
— Vous savez, c’est comme la farine avec laquelle la cuisinière fait les gâteaux.
La petite fille demanda alors si les cygnes étaient comme de la poussière.
L’autre lui répondit que non et chercha une autre image : « Eh bien, pensez à la neige, quand elle est tombée et qu’on n’entend pas encore les pas des gens. Eh bien, les cygnes, ils ont cette couleur là. »
— Ô mais, alors, mademoiselle, ce sont des oiseaux glacés, et cela doit faire bien mal aux doigts de les caresser.
La préceptrice fut désarçonnée par cette réponse. Alors comme c’était une femme très calme et qui aimait beaucoup l’enfant, elle fit l’effort de chercher une dernière comparaison pour la chère petite aveugle.
— Je vais vous dire, ma chérie. Les cygnes ont la couleur du lait. Du lait que vous avez bu au sein de votre nourrice quand vous étiez petite jusqu'à ce que vous ayez dix-huit mois accomplis. Du lait qui vous rendait si aise quand vous l’aviez bu et qui a fait de vous une si jolie demoiselle.
Alika fronça les sourcils, réfléchit longuement comme si elle faisait un effort pour se souvenir. Puis, son visage s’éclaira, et elle murmura satisfaite qu’elle savait maintenant comment étaient les cygnes blancs du Danube.
Achille Zapata.