La « rumeur d'Abbeville ».
En 2001, il y eut une crue mémorable de la Somme. À la suite de pluies continues et diluviennes, l’eau commença à monter le 27 mars 2001. Et si Abbeville est habituée de tout temps aux inondations, l’eau monta si durablement que des semaines plus tard elle était toujours là.
C’est ce qui permit à la rumeur de prendre corps. Il y avait un complot pour noyer Abbeville. Pas noyer Abbeville pour noyer Abbeville, mais noyer Abbeville… pour que Paris ne soit pas submergé par les eaux. Le maire RPR de la cité, Joël Hart se déclara persuadé que la brutale montée des eaux et la persistance des inondations n’étaient dues qu’en partie aux effets du ciel. Des tracts, des affiches commencèrent à courir et à recouvrir les murs de la cité : c’était pour préserver Paris qu’Abbeville était inondée. Il y avait un véritable complot de l’establishment parisien pour préserver la capitale. Voici comment la rumeur s’établit. La Somme qui arrose Abbeville est reliée à la Seine par le Canal du Nord, avec bien sûr un certain nombre d’écluses. Les Parisiens auraient détourné l’eau qui menaçait Paris par ce canal pour protéger la capitale, sans se soucier bien sûr de ces provinciaux de la Picardie.
Jean-Pierre Pernaut s’en mêle, (nous n’oserions dire s’emmêle). Il fait jouer les amitiés qu’il a dans les médias pour apitoyer le Français sur la Picardie. Son journal télévisé y va de ses reportages. La rumeur atteint désormais la France profonde, celle qui regarde le sire à l’heure où les autres sont au boulot.
L’émotion engendrant l’émotion, le 30 mars, le Préfet de région est obligé de tenir une conférence de presse. Sans résultats. Le 8 avril il brandit son bâton en menaçant de poursuite en diffamation les élus qui colporteraient les bruits calomnieux pour les plus hautes autorités.
Maxime Gremetz, député communiste et apparatchik du PCF depuis des lustres a vu de ses yeux vus de l’eau du canal du Nord se déverser dans la Somme. Et il écrit même une lettre ouverte à Jospin, l’encore Premier Ministre, sur ce sujet. Un Comité de Défense des Riverains de la Somme se met en place, avec à sa tête, Monsieur André Boulogne, un retraité du Trésor Public. Il écrit au directeur de la DDE et organise même une manifestation à laquelle participent dans les mille personnes à Amiens, le 11 avril. Mais l’eau est toujours là. Monsieur Gilles de Robien, Maire d’Amiens, en rajoute une louche et demande une commission d’enquête. Ce même jour, le maire d’Abbeville fait constater par un huissier que le déversoir d’Épenancourt qui sert de trop-plein au Canal du Nord débitait 10m3 par seconde dans la Somme. « Soit le contenu de dix mille camions citernes par jour » (Sic !)
Depuis l’eau a reculé et Abbeville a de nouveau les pieds au sec. Je laisse aux lecteurs de cette légende urbaine le soin de porter eux-mêmes leur propre jugement sur cette affaire. Mais avouez que pour une affaire de vases communicants, c’en est bien une, même si elle fait partie des fantasmes de provinciaux qui se sentent délaissés par la KAPITALE.
Légende urbaine.
Texte d’Achille Zapata.
(Toutes les informations peuvent bien sûr être vérifiées dans la presse de 2001).